Adrien Reboisson - Hautbois, bassons, flûtes

Adrien Reboisson

Le terme de "musique ancienne" m'a toujours paru impropre. D'une remarquable imprécision, il regroupe une infinité d'époques, de goûts et de compositeurs sous une bannière générique, presque péjorative. Il laisse supposer un total cloisonnement des styles, alors que l'histoire de la musique n'est faite que d'une continuité d'esthétiques lentement maturées par chaque génération. Il enveloppe le tout sous un voile d'exotisme anecdotique, distillant l'idée qu'avant l'époque dite "classique" il n'y eut aucun Brahms, Wagner, Gerschwin, Glass ou même aucun Mickael Jackson - c'est à dire des génies au sommet de leur art transcendant l'esprit de leur époque. Il faut donc commencer par se débarrasser de cette grille de lecture post-moderne pour éviter de ne voir ici qu'un vague folklore à tendance réactionnaire.

Cette musique est la bande son d'un temps qui n'est résolument plus le nôtre. En cela, c'est déjà un ticket gratuit pour un voyage intérieur qui questionne notre rapport au monde actuel, ses valeurs et son sens de la transcendance. Contrebalançant la perpétuelle et frénétique course en avant de l'homme moderne, elle ouvre le temps d'un instant une porte derrière laquelle se tapissent les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque... Elle nous plonge dans de nouvelles esthétiques dépaysantes, tantôt nobles et graves, tantôt joyeuses et légères, toujours pleines d'énergie et d'optimisme. La parfaite mesure et l'harmonie des musiques franco-flamandes du XVe siècle, la douce âpreté des frottoles Italiennes du quattrocento a la manière d'un clair-obscur du Caravage, la foi ferme et sereine qui émane de la musique sacrée d'Eustache du Caurroy, la virtuosité des diminutions de Dalla Casa dont l’interprétation devait imiter le bruit du vent dans les feuilles des arbres, ou bien encore la joie simple et rustique des musiques à danser populaires... C'est un continent à explorer, témoin d'une époque riche en découvertes et en mutations, qui a façonné l'Europe et dont nous sommes tous les enfants. Un continent qui, avec ses nombreux territoires mystérieux et inexplorés, permet à notre imaginaire de rester en éveil - une chose essentielle à mes yeux dans notre monde moderne, dont Bernanos disait qu'il était une "conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure".

Alta capella

Prendre un hautbois dans ses mains, porter l'anche en bouche : avant même d'avoir fait une note nous retrouvons déjà la posture corporelle de dizaines de générations de ménétriers - les musiciens au service du pouvoir - dépeints dans de nombreux tableaux et fresques, du XIIe au XVIIIe siècle. Le voyage commence ici, dans l'observation de cette iconographie foisonnante, entre fêtes, processions, cérémonies religieuses et allégories de la réunion des hauts et des bas, images muettes témoins d'événements dont il est passionnant de tenter de retrouver la bande son. Souvent joués en "bandes" (à plusieurs), parfois accompagnés de cuivres ; chalemies et bombardes (les hautbois anciens) offrent un son plein, droit, un timbre riche, qui n'a pas été encore adapté aux contraintes de l'orchestre moderne. Tantôt au service d'une écriture simple et populaire, tantôt au service d'un contrepoint subtil construit à la manière d'une cathédrale sonore, ils délivrent un large spectre d'énergies et de styles. Au cœur de la matière son, l'incessante succession d'harmonies pleines et pures pénètre l'esprit et le corps, d'une manière parfois quasi-hypnotique. En tant que musicien, forger cette pâte sonore, chercher la pleine harmonie des accords et la complète résonance des instruments pour faire ressurgir les images d'un monde disparu est une quête passionnante qui, heureusement, ne semble pas avoir de fin.

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